mercredi 17 février 2021

 ANNIE ERNAUX

LA HONTE

RECIT AUTOBIOGRAPHIQUE

142 PAGES

EDITIONS FOLIO

SORTIE 1997


Je l'ai comme vous, ressenti , elle a picoté mes joues , elle a étranglé ma voix, blêmit mon visage , haché mes mots, elle m'a figé et fait trembler..

Mais au delà de toutes ces manifestations extérieures , fait irruption  en moi l'inconnu d'une émotion naturelle.

Elle m'a enfoncé dans l'impuissance  et l'impossibilité de pouvoir y répondre.

Sur le socle des ressentis humains , elle est indicible , aux origines souvent ignorées et inexpliquées.

Elle, c'est la honte...

Alors parlons d'elle ...sans honte!

La honte, cette offense que l'on se fait à soi même inconsciemment , qui vous surprend au détour d'un événement et suscite une véritable réaction d'humiliation.

Ingrate, avilissante, toxique, elle piège la fragile sphère de nos prétendues connaissances de soi.

Un affront , une confusion visibles par tous et partout.

C'est du moins , ce qui est éprouvé lorsque impunément , elle nous met le feu aux joues et que l'on voudrait juste à ce moment se terrer dans un trou..


La honte, une affaire de regard , un sentiment vécu que l'on éprouve  presque jamais face à soi même mais bien face aux autres à chaque fois que nous sommes en décalage avec une réalité , des normes sociales , des pensées uniformisées.

Souvent traduite comme un traumatisme devant la réprobation, une révélation de nos différences .

La lanterne intérieure d'une certaine conscience ou prise de conscience.

Une chute, une dégringolade de soi même.

Impossible à effacer , n'appelant aucun mécanisme de réflexion , elle est la poussée involontaire qui tétanise le corps et l'âme.

L'être entier sombre dans cet inavouable , aucune issue, aucune dérobade possible.

Juste l'affronter, la canaliser ou l'ignorer..

La honte a un impact sur une multitude de traits de notre personnalité et de ses mécanismes de défense.

Une pudeur démasquée , ce que l'on a pas choisi d'être ou de vivre et que l'on subit en profonde appréhension de soi.

Se savoir su, se voir vu..

Levier de conscience, reconnaissance, atteinte à l'intimité , à l'intégrité..

Elle a souvent été l'acolyte de la faute, de l'erreur..

On peut lui prêter mille variantes.

La honte est elle un reflux de nos refoulés?

Est elle un enseignement, un espace de lucidité ?

Est elle à l'origine d'une mésestime de soi?

Mais surtout , une fois passée , la honte a t-elle bonne mémoire?

La honte , cette énigme sans résolution...


A travers ce récit bref et autobiographique, Annie Ernaux passe au crible le phénomène de la honte, de sa honte..

Elle va traquer sa mémoire , forcer le souvenir, analyser avec une précision chirurgicale ce qui l'a conduite à ce sentiment qui ne l'a plus jamais quitté.

Un incipit violent , nous jette instantanément dans le vif du sujet , nous dévoilant d'emblée la fracture de cette vie , séquence dramatique déclenchant le phénomène d'une honte fatale et collante.

Un dimanche comme tant d'autres de cette année 1952..

Un geste, une situation, une image fugace vont à tout jamais marqué l'existence d'Annie Ernaux.

Dans une cave , son père va tenter de tuer  sa mère.

Scène surréaliste , l'autrice n'évoquera que succintement  ce geste d'agression, elle ne cherche ni à le comprendre ni à l'analyser.

A ce moment précis, elle va alors basculer dans une réalité étrange et pesante, celle de la honte, en permanence , qui sera le prétexte tragique à la découverte d'un phénomène de honte sociale.

Cette année 1952, elle va s'efforcer de la revivre comme quelque chose d'inachevé , peut être même en espérant y déterrer des faits oubliés , une compréhension qu'il lui aurait échappée

Un besoin compulsif de tout passer au peigne fin dans les moindres détails.

La double difficulté de narrer et de se reconnaitre dans cet autoportrait.

Elle évoquera alors les lieux de son enfance , son éducation dans cette école catholique et ainsi les dessous de l'hypocrisie sociale et religieuse

Cette prise de conscience de sa condition sociale va devenir alors le berceau de la honte.

Elle comprendra les non dits , le poids des apparences comme un rideau qu'elle viendrait de lever.

La honte ne l'a plus jamais quitté depuis ce jour.

Forte de l'expérience du souvenir , elle nous offre un récit fort , sans fioritures.

Authentique, elle aborde de façon simple et humble la complexité de ce sujet.

Elle nous affranchit de nos propres hontes , les rendant ainsi plus légères et plus acceptables.

La honte se vit seule mais se révèle par l'autre..



"Il était normal d'avoir honte , comme d'une conséquence inscrite dans le métier de mes parents , leurs difficultés d'argent , leur passé d'ouvriers , nôtre façon d'être .

Dans la scène du dimanche de juin , la honte est devenue un mode de vie pour moi.

A la limite , je ne la percevais même plus , elle était dans le corps même/"





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