mardi 24 août 2021

COLETTE

LE PUR ET L'IMPUR

EDITIONS LE LIVRE DE POCHE

158 PAGES



Colette a cinquante neuf ans lorsqu'elle publie en 1932 , son roman 
"Ces plaisirs" qui sera ensuite rebaptisé "Le Pur et L'Impur" selon sa volonté 
"S'il me fallait justifier un tel changement , je ne trouverais qu'un goût vif des sonorités cristallines, une certaine antipathie pour les points de suspension bornant un titre inachevé, des raisons en somme , de fort peu d'importance."


Le plaisir, cet éclair violent qui cisaille chair et âme lorsqu'il vous prend..
Et nous l'avons tous "pris", cherché, trouvé, revendiqué.
Des instants supérieurs , la belle équation de l'imagination et de la connaissance .
Difficile à saisir, à appréhender, vrai ou feint, il se situe dans un horizon flou et complexe fait de culture, de nature et d'énigmatique liberté.
Fugitif, éphémère, il se balance tel un voile docile qu'il faut juste retenir..
Il réchauffe la main inerte, embrase l'esprit , mais souvent il refuse de donner son nom.
Dépister l'indice, suivre le fil, guetter le signe , il est le lieu- dit abritant le bien et le mal, le pur et l'impur..
Vice ou vertu  en sont les armes indéfinissables et inexplicables.
Pureté et impureté seraient-elles inventions?
La pureté ne serait peut-être pas une vertu que l'on aurait ou pas, elle ne serait point absolue , mais correspondrait davantage à un regard qui par choix décide de ne pas voir le mal là où il est , où là où il n'est pas..
Parfois le ciel est sombre mais l'eau qui en coule n'en est pas moins pure..
En conscience exaltée , abolir les préjugés , transgresser les tabous.
Dans ce roman, Colette justifie le plaisir comme un chemin emprunté pour atteindre une certaine plénitude.
Forte de ses expériences , à travers des anecdotes , des conversations , elle propose une vraie réflexion sur le plaisir. 
L' impératrice de la bisexualité s'interroge sur les différentes formes de jouissances , à la fois pour l'homme et la femme.
Aucune confession intime dans cet ouvrage , juste une contribution personnelle et le désir de renverser la morale dite traditionnelle . 
Des amours saphiques, de l'homosexualité masculine, les paradis artificiels des fumeries d'opium,, des amours secrètes tout se prête aux allusions de l'auteure et à la profondeur de ses analyses.
Un roman finalement assez pudique , faisant preuve d'une certaine retenue et sans voyeurisme.
Je dois avouer que même chez nos auteurs "chéris" il y a parfois des manqués.
Ainsi, ce court roman ne m'a pas particulièrement séduite si ce n'est le style fastueux, superbe , reconnaissable entre mille de Colette.
Certains passages m'ont totalement échappés et lassés.

Elégante et troublante, Colette à l'aide de ses singulières démonstrations de plume tourmente l'éternel courant fébrile de l'impossibilité au pur d'exister sans son autre..













lundi 16 août 2021

 ROGER MARTIN DU GARD

CONFIDENCE AFICAINE

EDITIONS L'IMAGINAIRE GALLIMARD

NOUVELLE

86 PAGES


Confidence pour confidence , il existe des oeuvres qui ne respirent que par les intentions de leurs auteurs.

Ce qu'ils décident de transmettre et comment ils prévoient de le faire..

Une certaine forme d'absolu, sans intellectualisation.

Un brève nouvelle de 86 pages qui vous laisse un goût de "je ne sais quoi en penser", qui vous laisse béat ou indigné.

Un singulier sujet, aux points de vue irréconciliables.

Trop court , pour pouvoir à pleines mains en palper toutes les aspérités et le subtilités , mais suffisamment pour apprécier la simplicité et la délicatesse du style.

Sans fioritures, les mots sont élus et viennent presque atténuer la crudité d'une histoire aux choquantes allures.

Quelques pages d'intransigeance à la morale, transgresseuses sulfureuses..

Une réflexion proposée sur un outrage aux codes moraux et religieux.

L'inceste adelphique..

Une délibération aussi sur la notion de" naturalité", d'état spontané des choses et des événements..

Le parti pris de l'auteur, qui refuse tout jugement moral traditionnel.

Evaporer le tabou au profit de la libération heureuse de l'instinct et des désirs.

Roger Martin Du Gard est un romancier et dramaturge français.

Auteur de la saga fleuve "Les Thibault" et de Jean Barois.

Il fût lauréat du Prix Nobel de littérature en 1937, puis chevalier de la légion d'honneur;

Confidence africaine est écrit en 1931.

C'est l'histoire d'une confession nocturne sur un paquebot reliant Marseille à l'Afrique du Nord.

Un contexte exotique pour une nouvelle à deux voix..

Un homme qui se confie, un autre qui religieusement et sans jugement , écoute..

Léandro Barbazzano raconte  ce récit scandaleux, éloquent , impudique et délicat.

Un pesant secret de famille , le pan énigmatique et passionné à la fois, d'une existence agitée.

Au dessus de la librairie paternelle, Léandro partage , à cette époque avec Amélia, sa soeur, une proximité attendrissante et une promiscuité de chambre.

"Ces choses là, vous voyez comme ça peut arriver tout naturellement .

C'est même tout simple , n'est ce pas, quand on y pense, quand on retrouve à peu près l'enchaînement des détails."

"Dans un ménage , quand on s'entend bien , qu'on a très longtemps vécu ensemble , qu'on s'est usé l'un près de l'autre , on se sent liés par des sentiments profonds.

Une espèce d'entente sans explications , intérieure, inconsciente et qui ne ressemble à rien d'autre."


A vous de lire, de juger ou pas!













mercredi 11 août 2021

 Bonjour Christine, tout d'abord un grand merci de me confier un peu de votre temps afin de répondre à quelques- unes de mes questions

J'espère qu'elles permettront aux lecteurs de comprendre et d'apprécier justement votre livre et votre projet.



- Nous vous connaissons tous à travers vos activités de chroniqueuse littéraire ainsi qu'en tant que rédactrice du journal web " Le Casier Littéraire"


Alors, première question : la littérature, que représente-t-elle pour vous?

Aujourd’hui la littérature représente ma nouvelle vie. Enfant, j’ai été fascinée par mon premier grand livre de lecture distribué les premiers jours de l’école. Il était grand, sentait les saisons, une image illustrée pour chaque histoire. Dans ma tête, les personnages prenaient vie. Mais à l’adolescence, les livres imposés dès le collège suscitaient en moi une certaine indifférence. Le choix de la lecture m’a donc poussé à la bibliothèque, vers 15 ans, parce que je voulais vivre le livre. A 45 ans, je lis, je chronique et j’écris. J’ai ouvert mon propre livre…

A-t-elle des dimensions plurielles?

La littérature est une source. Un besoin d’apprendre, de rêver, de voir ou de vivre des émotions. Selon moi, le livre comporte la dimension de l’auteur(e) et celle du lecteur ou de la lectrice. Dans « Rêves de femmes », Virginia Woolf transmet admirablement le rôle de la lecture pour la femme. Elle lit, elle retranscrit par son attitude, ses envies ou même l’écriture. Avoir ses propres opinions : c’est se questionner sur une autre histoire. 

Est-elle un monde sans limites?

Elle vit l’époque tout simplement. Un jour, on dit tout. Demain, on posera des barrières. Je pense que la littérature n’est plus un monde intime. On cherche la facilité. Notre monde, c’est acheter facile, pratique et pas cher. Pourvu que le livre est en tête de rayon pour attirer le lecteur. La recherche, la conviction de pouvoir puiser quelque chose dans la lecture disparaissent dans une littérature commerciale. Est-ce qu’une pandémie aurait changé cela ? Peut-être…




-Aujourd'hui, vous faites vos premiers pas d'auteure.

Un livre témoignage sur les violences faites aux femmes.

Votre histoire..

Alors permettez- moi de vous demander en premier lieu, de quelle façon ce projet a mûri?

Les violences conjugales : on en parle à la télévision et dans les journaux. Généralement, le téléspectateur ou le lecteur penseront que c’est une autre triste histoire. Histoire d’alcool ? Un autre connard de plus ? Se sentir concerné ? Pas du tout. Et puis, il y a les victimes ou même les bourreaux : Il détient le pouvoir, banalise ou pire : c’est un sujet tabou. On éteint, on referme l’info. Soit c’est une emmerdeuse qui se plaint ou un gars qui a perdu les pédales. 

J’avais été interpellée par l’histoire de cette chanteuse dans « The Voice » Anne Sila qui, quelques mois avant le télé-crochet en 2015,  avait été atteinte d’une vingtaine de  coups de couteau et son amie trente coups de couteau. C’était son petit ami de l’époque qui les avait agressées alors qu’elle était hébergée par cette amie. En lisant l’info à mon mari, il m’avait répondu : « Il était pas fortiche le gars, il la plante 20 fois et elle est encore en vie ! » Qu’est-ce que tu veux répondre à ça ? Aujourd’hui, lorsque j’épluche tous les cas de violences conjugales (féminicides et agressions), je ne veux plus me taire.  

Quels en ont été les éléments déclencheurs?

Un élément déclencheur : celui que j’ai provoqué en parlant et toutes ces femmes qui me contactaient en privé pour me dire qu’elles aussi voulaient partir. Elles ne savaient pas comment faire et ça me révoltait, je voulais qu’elles se libèrent. J’avais été cette femme qui n’osait pas. Il y en avait combien encore sous l’emprise d’un homme ? 

Est-il issu d'une grande réflexion ?  Ou est-ce une impulsion immédiate et vitale?

Les deux. J’ai gambergé des jours à me demander quoi faire pour toutes les autres. Un jour, j’ai dit à Marco, mon compagnon : Je vais écrire mon histoire. Je me suis assise à mon bureau. J’ai ouvert World et j’ai écrit cette première phrase : « Je me souviens très bien du premier regard. » J’ai levé la tête, j’ai dit à Marco que j’avais commencé mon livre et je lui ai lu cette phrase. Il m’a répondu : Vas-y, continue…

- Quels ont été les épicentres de cette ambition? Se libérer intérieurement, une intention morale , pédagogique , une mise en garde?

Tout. Écrire, c’était pour raconter afin que d’autres comprennent mais aussi s’y retrouvent peut-être. Je pensais aux femmes mais aussi à ma fille. Les garçons peuvent être méchants, même à 12 ans. Au même moment, ma fille avait un ami qui lui avait dit que ce n’était pas étonnant qu’elle ne voit pas son père, parce qu’elle était moche et que de toute façon elle finirait sur le trottoir. Marco était en colère, il n’en revenait pas. Pour comprendre ses limites en tant que femme, il faut entendre, tout entendre, pour savoir ce qui transgresse la moralité. Écrire m’a libéré aussi car tout mettre sur cette page blanche, c’était me placer face à mon passé puis refermer les portes une à une. 


- Dans tout ce parcours d'écriture, vous êtes- vous fixer des limites à la narration des faits, une sorte de tri sélectif des événements ou avez-vous plutôt joué la carte de la spontanéité sans précisément de retenue?

Premièrement, j’ai changé les prénoms de mon ex-mari, de mes enfants et d’autres personnages. Ma belle-fille après sa lecture m’a confié que je n’avais pas assez parlé de moments concernant mes enfants. Mon fils lui avait raconté par exemple que, lors de ses 19 ans, il avait été choqué de voir son père mettre la tête de son plus jeune frère (13 ans) dans son assiette parce qu’il ne mangeait pas. Il lui avait dit aussi son traumatisme parce qu’à l’âge de 15 ans son père l’avait poussé à couper la gorge d’un pigeon. Je lui ai expliqué que je ne voulais pas mettre en avant mes enfants. Je n’avais pas su assez les protéger à l’époque mais aujourd’hui je le pouvais. Les critiques peuvent être dures et je ne voulais pas qu’ils lisent des choses qui auraient pu leur faire mal et puis l’écrire revenait à leur rappeler de mauvais souvenirs encore et encore. 

Je voulais aussi que ce livre soit sincère et que mes enfants comprennent avec leurs souvenirs et mon texte – pourquoi cette enfance ? Pourquoi le départ ? – et qu’ils n’étaient en aucun cas fautifs. Raconter cette histoire de couple mais surtout cette femme qui rencontre un homme, se marie et donne naissance à trois enfants, ce n’est pas regretter leur présence même si elle aurait voulu une autre vie. Alors, j’ai concentré l’histoire sur le couple. 



- On n’est jamais totalement objectif quand on écrit sur soi. Les souvenirs, le temps qui passe brode souvent les ressentis. Dans quelle mesure, pensez-vous l'avoir été?

Tu parles de « souvenir », j’utiliserais plus volontiers le mot « traumatisme ». Tu peux édulcorer ou même oublier un souvenir. Le traumatisme demeure intact en revanche. Malheureusement, dans les violences conjugales comme dans toute agression, en tant que victime, tu t’imprègnes totalement de l’ambiance et de ton ressenti. Il serait si facile d’oublier son regard et ses insultes. Sous emprise, tu es aliénée, incapable de te protéger. Je te dirais que la prise de conscience est plus dure car tout ce qui est dans le subconscient se libère. Chaque épisode, chaque page écrite reviennent en cauchemars et il est là toutes mes nuits. 


- Tout au long de votre histoire, comme dans vos chroniques d'ailleurs, un amas de questions marque une phase d'introspection dans l'esprit du lecteur. Est-ce une façon de l'intégrer à l'histoire, de le faire participer ou une manière de communiquer pour vous?

Tu parlais de ressenti dans ta question précédente, c’est la même chose. En lisant, on doit vibrer. L’esprit doit s’apaiser, se distraire, disons : voyager. Qui ne s’est jamais posé de questions en lisant ? Même si, en vérité, on s’exclame avec une grande fermeté sur le déroulement de l’histoire. Mais comme je disais plus haut : lire c’est aussi s’inclure dans l’histoire. Combien de fois une femme qui lit une romance referme le livre en le serrant contre elle en pensant comme elle aimerait vivre ce moment. Se poser des questions c’est se découvrir. Lisez un chapitre d’un livre et demandez-vous : qu’auriez-vous fait ? Comment l’auteur va tourner l’histoire ? Comment voyez-vous la suite ? Vous pourriez être étonnée de vos pensées. 



-L'écriture d'un témoignage est un peu singulière, on ne propose pas un succès littéraire, le style et la réflexion sont uniques. Cela vous semble-t-il juste ou pensez-vous que les deux soient finalement compatibles ?

Qu’est-ce qu’un succès littéraire ? Doit-on tenir compte du nombre d’exemplaires vendus ou de la qualité du texte qui te bouleverse ? Pour moi, un succès littéraire c’est le livre qui va parler à tout le monde. Aujourd’hui, c’est la notoriété de l’auteur qui fait vendre et le témoignage – voire l’autofiction – aussi peut devenir un succès littéraire si tant est que l’auteur passe régulièrement chez Ruquier ou Ardisson. Pour ma part, je veux penser qu’un jour, nous irons rechercher le travail de l’écrivain et le maillage qu’il a construit pour nous emmener. C’est de là qu’est née la littérature. 


-25 ans de vie, c'est très long..

-Quelle a été votre organisation pour rassembler tout ce vécu et l'écrire?

C’est trop long. Il n’était pas facile de raconter aux policiers et aux juges ces 25 années non plus. Surtout que le juge par sa première question me demande si je suis d’accord sur le fait que notre relation s’est dégradée au fil du temps du fait de l’alcool. Je réponds oui parce que c’est vrai mais tu sais qu’il n’y a pas que ça. Écrire, c’était reprendre tout et se concentrer sur l’essentiel : tout ce que je n’avais pas dit non plus. 


-Quelles ont été les principales difficultés à l'écriture de votre livre?

Se rappeler et mettre les mots. Se sentir encore coupable.

 

-Se souvenir, puis écrire est-ce douloureux ou libérateur?

Les deux. C’est douloureux parce que c’est revivre le moment et c’est libérateur car je me disais que je n’étais plus dans cette situation. C’était fini. Marco m’a aussi beaucoup aidé. Lorsqu’il me voyait me lever de ma chaise en pleurant, il me rejoignait et me réconfortait : j’étais la victime et ce n’était pas ma faute, me répétait-il. 

-Quel regard portez-vous sur vous même aujourd'hui?

Mon propre regard. Si tu sais te regarder et te reconnaître alors tu es toi-même. Je suis la femme que j’aurais aimé devenir et je suis plus encore. 


-En 2019, se tenait le Grenelle national sur les violences conjugales, qui a semble-t-il certaines avancées, notamment sur le suivi des conjoints violents..


Pensez-vous que ces mesures soient aujourd'hui suffisantes et surtout appliquées?

J’ai quitté mon mari, le Grenelle n’était pas d’actualité. En septembre 2019, il commençait. Je suis passée au tribunal en novembre. Je pensais que tout irait pour le mieux et que je serais entendue. J’ai très vite déchanté. Je me suis dit que ce n’était pas pour moi. Bon, ce serait pour les autres. Sauf que ça avance tout doucement. L’aide aux victimes de violences conjugales n’est pas encore suffisante. Songeons au nombre de féminicides en deux ans : beaucoup de femmes ont certainement cru que le Grenelle allait aussitôt les aider mais personne ne les écoute ou pas assez.

Pensez -vous que les effets tardent un peu?

Oui ! On tourne autour du pot. 

Selon vous, que faudrait-il changer ou améliorer?

Il faut exiger l’exclusion du mari violent : c’est en cours mais ce n’est pas systématique dans toutes les régions. Je pense en outre qu’une femme victime de violence conjugale devrait pouvoir téléphoner à la police et affirmer qu’elle veut partir car ses enfants et elle sont en danger. Elle a des bleus et/ou souffre psychologiquement. La police lui demanderait si elle a une idée d’une destination et, le lendemain matin ou le soir même, la cavalerie sortirait le mari de la maison et le placerait en garde à vue pour l’entendre. Pendant ce temps on emmènerait la famille où elle le désire et on l’aiderait à emmener toutes ses affaires. On couperait les ponts tout de suite. Toutes les démarches seraient faites à distance et sous protection. Pas de divulgation d’adresse (aujourd’hui encore, je suis tenue d’informer mon ex-mari de mon adresse). Plus de droit parental au père. Comment peut-on conserver le droit parental quand ses enfants ont été obligés de s’enfuir ? Parlons du droit de vivre en paix ! On économise les téléphones, les bracelets et tous ces gadgets juridiques qui ne garantissent pas du tout la sécurité d’une femme. Il faudrait enfin dresser un listing, un suivi des auteurs de violences conjugales : convocation tous les ans à la police et dans un centre pour éviter de faire du mal à une autre. Sous surveillance à vie. 


-Vivre avec un pervers narcissique pendant 25 ans, c'est quel genre de vie au quotidien?

Un quotidien de stress et de folie. 

-Pourquoi accepte-t-on autant?

Le pervers narcissique séduit et sait très bien s’approprier l’autre. En fait, cet homme ne sait même pas qu’il est un pervers narcissique et ne l’admettra jamais. On accepte beaucoup et puis trop mais il est déjà trop tard. La victime n’a pas d’autre choix que d’accepter ses excuses surtout qu’elle est amoureuse. On dit qu’elle est aliénée parce que, lorsque cette vie est trop dure à supporter, elle va enfermer ses sentiments dans son subconscient. Dire que c’est de l’acceptation : non. J’ai appris tout cela après mon départ en lisant notamment les ouvrages de Christine Calonne, spécialisée depuis 26 ans dans l'aide aux victimes de pervers narcissiques. Elle est l’auteure, entre-autre, de « Pervers narcissiques, récits et témoignages » (2019). Nous avons commencé à échanger avant même que je ne songe à écrire ce livre. Par après, elle a lu celui-ci et a accepté de le préfacer. Je l’en remercie profondément. 

Pensez-vous que notre éducation ou notre schéma familial puisse parfois être en cause?

Le schéma familial et l’éducation profilent les pervers narcissique. Mais la société aussi. L’enfant « roi » contribue à la formation du futur pervers narcissique comme l’enfant blessé par l’univers familial. Le pervers narcissique a décidé de tout avoir pour lui-même en parasitant les autres.  

Croyez- vous que toute femme est potentiellement réceptive aux pervers narcissiques?

Oui et non. Toute femme peut être séduite par un pervers narcissique. Il apparaît comme un prince charmant, si dévouée pour la femme de sa vie. Puis ça se corse un peu, quelques reproches, quelques colères suivies de profondes excuses. Mais ce qui est indispensable pour le pervers narcissique c’est de trouver tout ce qu’il peut vampiriser chez cette femme. Toutes les femmes peuvent être réceptives à un pervers narcissique mais c’est lui qui choisit et il est très bien capable de détecter les qualités qu’il peut s’approprier.  


-Comment décide-t-on de partir un jour?

Lorsqu’on prend conscience que sa relation est toxique.

- Le départ, réflexion haletante depuis déjà bien longtemps ou simplement, l'événement ou le geste de trop qui déclenche la prise de conscience tant attendue?

Un peu tout. Lorsque la prise de conscience survient, on comprend que tout est faux : son amour et son engagement. La victime va agir autrement, elle se laisse moins faire et va même se risquer à quelques « non ». Elle se détache. Le pervers narcissique le détecte, il ressert son emprise. Et là, soit elle part, soit elle se rabaisse. Malheureusement le départ devra être très rapide car elle n’a pas le choix. 



-Comment avez- vous vécu cette période de transition entre la difficulté de réaliser sa situation et la mise en place d'une fuite?

Comprendre qu’il faut partir, ce sont des minutes, des heures : deux mois. Une mise en place est impossible car, comme je l’ai expliqué, il a compris que je ne le soutenais plus ni lui ni notre mariage. Il est devenu un homme que je ne connaissais pas. Différent, il était méfiant, doux, provocateur, méchant et gentil. Tous ces aspects dans une journée et l’un après l’autre, jour après jour. Ce n’était plus par épisode de mois, le rythme s’accélérait. 

 


-Votre témoignage est un parmi tant d'autres, pensez-vous apporter des éclaircissements différents ou complémentaires?

25 ans c’est beaucoup et les quelques témoignages dont j’ai entendu parler avec un nombre d’années si importants ne se sont pas forcément bien terminés. Tenir si longtemps n’est pas facile. Tu penses forcément que la liberté c’est par la mort qu’elle apparaîtra sauf que tu n’es pas capable de l’imager. Je dirais que mon histoire termine bien. Nous sommes encore vivants ! 


-Certains passages du livre contiennent des scènes assez intimes, pas forcément indispensables..

Pourquoi avoir choisi de les raconter?

Parce que les violences conjugales rassemblent toutes les formes de violences. Toutes violences conjugales commencent par la violence psychologique puis les violences physiques. Il y a aussi les violences économiques et les violences sexuelles. Expliquer la violence psychologique dont j’ai surtout été victime c’était relier un peu le tout. C’est tout ce qui singularise le pervers narcissique : il agit sur toutes les formes de violences pour te réduire psychologiquement. 



-Le temps passant, notre regard parfois se fait différent, plus apaisé..

Ne craignez-vous pas un jour de regretter cette vie mise à nu? Y avez- vous déjà songé?

Oui je l’avoue. Mais j’ai compris que la victime c’était moi et que je n’avais pas à avoir honte. Il m’a volé mes 25 premières années d’adulte. Le problème que je soulevais aussi était que si je ne parlais pas, si nous ne parlons pas, comment faire comprendre à la société que cela suffit de maltraiter une femme et/ou des enfants. Le Grenelle n’a fait que déterrer un fait (les violences intrafamiliales) qui existe depuis toujours dans le silence. 


-A la lecture de votre témoignage, un paradoxe s'est imposé à moi..

Vous parlez de vous en toute transparence, avec humilité, sans tabou et sans victimisation.

Il faut un grand courage pour y parvenir.

En revanche, j'ai senti un écran émotionnellement parlant dans ma lecture..

Une part qui ne se laisse pas entrevoir..

Celle des émotions.

On a parfois du mal à cerner vos ressentis, vous semblez distante et détachée..

Est-ce une manière de se protéger? De pouvoir raconter plus objectivement?

Non, c’était moi de 17 à 45 ans. Mon but était justement de raconter toutes ces années à partir des émotions, des pensées de cette femme. Pas assez d’émotions. Elles sont enfouies. C’est le parcours d’une femme qui est victime de violence psychologique. Elle s’éteint, se met en veilleuse. Elle ne peut pas être heureuse, elle ne peut pas être malheureuse. Tu vis, tu subis, tu survis. 


Aujourd'hui, une nouvelle vie s'est offerte à vous, vous avez rencontré l'amour..

Quelles ont été vos appréhensions à reconstruire après tant de vécu toxique?

Beaucoup. Marco m’a sauvé, c’est indéniable. Et c’est lui qui m’a fait comprendre que j’avais le temps, que nous avions le temps. Nous sommes restés un an à distance, c’était dur mais nécessaire. Cependant, je n’arrivais à rien construire dans cette ville, dans cet appartement. Mais j’ai toujours eu le choix. Je ne dépendais plus des décisions de quelqu’un, je prenais les miennes. Se reconstruire c’est se recentrer sur soi-même. Toute relation doit être basée sur l’un et sur l’autre et non l’un ou l’autre.  

Ce qui ne te tue pas, te rend plus fort, dit-on..

Une petite réaction ? 

Je suis vivante ! J’ai eu peur du féminicide. Ma famille savait qu’il en était capable. Mon père a toujours eu peur qu’un matin la police viennent taper à sa porte pour lui apprendre qu’un drame était survenu chez moi. Il n’est plus là, mon papa, il n’aura jamais su que je vis aujourd’hui à Bruxelles et que je suis avec un homme extraordinaire. Il me disait tout le temps «  Tu es comme ta grand-mère, Christine, tu es forte. » 

Je suis une femme forte et libre de mes faits et gestes et surtout libre de m’exprimer. J’ai eu besoin de cette force pour affronter mon bourreau.  Aujourd’hui, elle est gravée dans mon caractère. 


Et pour conclure Christine que retenez- vous de cette expérience d'écriture?

Une introspection. Raconter c’était comprendre, rétablir et affronter mon passé.

Avez- vous déjà d'autres projets en tête?

Dites- nous tout!

Oh que oui ! Je m’essaie au polar, l’histoire est prête dans ma tête. Et puis, j’ai une autre idée d’histoire. Puis, j’ai aussi « Louise et Paul » qui mijote dans un recoin de ma tête, une romance qui a pour toile de fond la première guerre mondiale. Lorsque je raconte mes histoires sur mon lieu de travail, on me répond : « Mais où vas-tu chercher tout ça, Christine ? » 

Voilà, cette interview arrive à sa fin, merci à vous Christine et merci à tous les lecteurs qui s'y attarderont..

Merci Evelyne.








lundi 2 août 2021

 CHRISTIAN BOBIN

LA PLUS QUE VIVE

R2CIT AUTOBIOGRAPHIQUE

110 PAGES

EDITIONS FOLIO


Je suis sûre que vous l'avez tous rencontré un jour , cette personne là..

La plus que vive , la solaire, l'étang de miel qui adoucit et illumine le coeur.

Cette personne qui dessine secrètement vos premières formes de vie.

Elle vous baigne de splendeur dans les intimes cascades abruptes et sauvages de son for intérieur.

Une roseraie pour les âmes , une collaboratrice du soleil!

La vive clarté où tout renaît, l'euphorie vive , l'eu vive et précieuse qui fortifie les esprits éprouvés.

Une impression sûre comme l'aube, le matin..

Par et au delà du temps, du néant , de l'existence et de l'absence.

Elle, c'est Ghislaine, la chère et tendre compagne de Christian Bobin.

Elle s'en est allé brutalement , un douze août 1995, au doux âge de quarante quatre ans.

"L' évènement de ta mort a tout pulvérisé en moi. 

Tout sauf le coeur.

Le coeur que tu m'as fait et que tu continues de me faire , de pétrir avec tes mains de disparue , d'apaiser avec t voix disparue , d'éclairer avec ton rire de disparue.

Je t'aime : je ne sais plus écrire , je ne vois plus que cette phrase à écrire."

Un puissant et élégiaque hommage à sa bien aimée, à sa plus que vive..

Un hymne à l'amour, à la mort , à l'éternité et à tout ce qui continue de vivre dans l' absence.

Une lumière d'amour sur les pourtours d'une vie sur sa fin.

L'auteur nous parle d'elle..

In nous éclabousse de ses souvenirs, de cette vie avec Ghislaine..

A cette complicité parfois muette, aux sursauts de solitude dont chacun a besoin , comme une réalisation de soi..

A cet amour qui inonde chaque jour écoulé, aux joies simples qui abondent leur quotidien pas toujours facile.

Ghislaine est libre, aimante, débordante de générosité.

A elle seule, elle est l'oeuvre accomplie d'une vie, un rythme éternel, une élévation..

Lui, il ne veut plus écrire depuis elle..

Mais à travers les ondes profondes et vibrantes de Ghislaine , lentement il rassemble les paillettes d'or des heures, avec elle, égrénées.

Dans ce ciel où s'épure sa douleur, elle est la douce énergie qui s'infiltre comme un miracle.

"Il y a mille façons de parler aux morts . Il fallait la folie d'une petite de quatre ans et demi pour comprendre que nous avions peut-être moins à leur parler qu'à les entendre et qu'ils n'avaient qu'une seule chose à nous dire : vivez encore , toujours, vivez de plus en plus , surtout ne vous faites pas de mal et ne perdez pas le rire."


Christian Bobin nous transmet le plus beau de sa douleur, dans ce  récit philosophique et poétique , plus philosophique, je dois avouer.

Des jours entiers reliés à ce lien indéfectible, indicible..

La mort rassemble ceux qui y voient le même trésor.

La plume de Christian Bobin est sans doute une des plus belles et bouleversantse de la littérature française.




  Myriam Giacometti Une seconde d'inattention 418 pages Que s'est-il passé ce jour là? Une seconde d'inattention ou le spectre g...