ALEXANDRE PAGE
ROUSSALKI
412 PAGES
AUTOEDITION
"Il est rare que la vérité rattrape le terrain perdu sur la légende" écrivait Stefan Zweig..
Les temps, les bouleversements ébrèchent et dispersent souvent certaines réalités et le regard que nous y prêtons. Croire devient alors la recréation des choses, croire pour se rassurer , pour différer nos destinées , pour faire vivre d'autres possibilités ou d'autres aliénations.
Aux confins mystérieux des croyances: les religions, les rites, les mythes et les légendes viennent étayer la constitution de nos réflexions et de nos intégrations.
Célébrons pour l'heure, la légende et plus précisément une légende slave.
Grimpons sur une télègue et allons visiter les "isbas" (petites maisons paysannes russes), les us et coutumes des contrées reculées de la Russie du dix- neuvième siècle.
Vous me suivez? Tant mieux, car sous peu , je vais embrumer votre esprit de sensations sombres et faire traîner l'espoir sur vos petites âmes encore tranquilles.
Je vais me faire , le temps de quelques lignes la fée de brumaille aux doigts recroquevillés et empressés de vous conter l'histoire du dernier roman d'Alexandre Page.
ROUSSALKI
Une traversée romanesque au pays des naiades slaves. Oui Roussalki est le pluriel de Roussalka qui désigne une sirène. Une couverture bleu mythique , un titre court et envoutant , vous avez déjà les prémices nébuleux d'une histoire aux remontées inattendues , truculentes et sans fond.
Attention, l'étanchéité de vos esprits n'est plus guère garanti..
C'est donc le troisième roman de l'auteur que je découvre après :
-Partir, c'est mourir un peu
Et
-La Petite Dame Sans
Et c'est sans plus attendre que je vais vous raconter cette histoire et vous confier mon ressenti.
L'HISTOIRE
Vassili Vassilievitch Saltikov est un voyageur raffiné et énigmatique . Quand il pose son pied dans la petite ville pauvre de Tcherepitsa , il a alors un dessein bien singulier dont je ne vous parlerai pas bien évidemment , mais sachez simplement que de la plus belle et noble des intentions peut naître un très grand mal. Durant cet étrange séjour où il s'empresse de mener à bien quelques recherches , il va alors faire de bien étranges rencontres ..
Il y en premier lieu Ivan Mikhailovitch qui l'accueille à bras et coeur ouverts au sein de sa famille et de son "isba", puis il y a Fedouchka, ce pauvre jeune bougre simplet..
Il fait alors aussi la connaissance de la comtesse de Zoubrovski, secrète, chétive et recluse puis de Marva , l'impénétrable sorcière au sourire sybillin.
Mais surtout, il y ce lac argenté berceau d'une légende ancrée depuis fort longtemps, celle des Roussalki , ces sirènes d'eaux douces aux robes de brumes , aux teints pâles et aux yeux verdâtres.
Un conte né d'une fête paienne ; la Trinité.
Que font -elles dans ce lac?
Que viennent -elles rechercher de leurs profondeurs?
Pourquoi s'étendent-elles à travers bois et champs par des nuits claires?
Vous le saurez très bientôt , mais surtout n'oubliez pas votre feuille d'armoise cachée sous la semelle de votre soulier..
Un conte, une légende qui va tisser et reconstituer ce puzzle de l'étrange.et qui va à jamais lier chacun des personnages entre eux..
MON AVIS
Pas de suspens en longueur, c'est un immense coup de coeur !
Je dirais même que c'est à cet instant le meilleur roman de l'auteur qui a révélé toute sa verve poétique et onirique.
Comme à l'accoutumée , c'est un travail scrupuleux de recherches et de justesse.
Ce roman relate de façon accessible et entrainante une grande légende de la mythologie slave.
Les descriptions des villages et de la vie paysanne de l'époque sont vivantes , développées et pleines d'authenticité, tellement visuelles qu'on a l'impression de cheminer avec sur ces sentiers , de vivre avec ces protagonistes.
Le style est fidèle à lui même , plus poétisé , plus ensorcelant..
Les chapitres ne sont pas trop longs , j'ai vraiment apprécié ..
En marge de cette histoire, de cette légende une morale se dessine que chacun analysera à sa guise ..
Le point culminant revient à l'atmosphère générale du livre, l'auteur a su avec maestria nous envelopper de cette aura étrange qu'entretiennent les légendes.
L'auteur n'a pas rationalisé son histoire et c'est sa plus belle victoire.
Je suis laissée porter par les brumes , en apesanteur dans ce bout d'univers où je suis passée sans laisser d'ombres..
Les légendes ne meurent jamais...
Et comme dans tous les romans d'Alexandre Page , le livre s'ouvre sur un poème que je vous partage avec plaisir..
"La lune glisse entre les nuages légers ,
Et un rayon d'argent se repose
Sur la terre endormie
Une sirène nage , tout en élégance
Et tranquillement joue avec ses tresses
Au dessus de la sombre rivière
Dans l'eau , elle admire son reflet ,
Et elle chante au clair de lune
Les sons tristes portent
Sa langueur et son chagrin
La sirène chante et regarde au loin
Elle attend , elle se désole ,
Elle se languit de quelqu'un,
De celui qu'elle enchantera
FIODOR SOLOGOUB, ROUSSALKI 1878