dimanche 23 janvier 2022

 PATRICK MODIANO

DORA BRUDER

EDITIONS FOLIO

145 PAGES


Je viens de faire un tour au pays de Modiano..

On dirait que tout les chemins mènent à lui , dans l'obscurité d'une lune , sous la lumière pâle et froide d'un réverbère en hiver , dans les captives lueurs d'un jour de brouillard à peine pointé , dans les déroutants endroits où tout se noie de brume et de mystère . Sous les oreilles des pavés déserts ,des vieilles artères de Paris miraculeusement ressuscitées , il est là, le fantôme du souvenir..

Il est là, dans ces brumailles qui voyagent à travers une lancinante nostalgie. Dans cette dimension temporelle unique à lui où la souvenance est épidermique. La plume de Patrick Modiano est le support envoûtant d'un monde oublié où les souvenirs survivent dans cette tranquillité que seul le présent sait exacerber.  L'inachevé, ces filaments d'instants que l'on croit saisir dans l'inexistant comme pour suspendre un temps déjà prêt à s'enfuir, l'art de la fugue et de la mémoire , cet élan "proustien" , c'est toute l'inspiration "Modianesque".

Oeuvre pour laquelle il sera récompensé en 2014 par un prix Nobel de littérature.

C'est avec "Le café de la jeunesse perdue" que je découvre la plume de Patrick Modiano. Son style fugitif , cette puissance à retenir le temps , cette incessante transposition du réel et de l'imaginaire m'ont totalement fascinée..

C'est donc tout à fait naturellement que l'envie m'a reprise de poursuivre cette découverte, avec cette fois-ci "Dora Bruder" , un roman court comme toujours avec cet auteur, un récit sur le monde oublié de l'Occupation. Il faut savoir que ce récit tire davantage du documentaire grâce à la véracité des recherches effectuées par l'auteur. D'ailleurs , Modiano était frileux à l'appellation de roman pour ce récit. Un ouvrage ambigu qui relève aussi bien de la fiction , que des souvenirs personnels du narrateur et une véritable enquête.

L'HISTOIRE

"Il y a 8 ans , dans un vieux journal, Paris-Soir, qui datait du 31 décembre 1941 , je suis tombé à la page trois sur une rubrique : "D'hier à aujourd'hui ". Au bas de celle ci, j'ai lu: On recherche une jeune fille , Dora Bruder , 15 ans , visage ovale , yeux gris-marron, manteau sport gris..."

Ainsi commence l'histoire de Dora Bruder, cette jeune fille juive faisant l'objet d'un avis de recherche.

Dora a fugué pendant des mois, sans que personne ne sache ni où elle était ni ce qu'elle a fait durant ces longues et glaciales journées d'hiver. Elle emportera son secret jusqu'à la fin.

L'auteur se met alors à sa recherche , il va fouiller documents et vieilles archives , arpenter ce quartier du boulevard Ornano qu'il connait si bien ..

Une communication imaginaire où se mêle le destin de cette jeune fille , finalement déportée à Auschwitz , le souvenir de son père, ses rencontres de l'époque ..

Tout les événements fusionnent dans les couloirs engloutis de sa mémoire, une identification se fait alors..

De décembre 1988 à mars 1997 , l'auteur tentera de savoir ce qui est arrivé à cette jeune fille.

Un roman poignant et lumineux à la fois. Un hommage digne et pudique à toutes les victimes de la déportation et de la lâcheté humaine. Un itinéraire presque poétique dans ces rues de Paris où il exulte de sa plume à faire revivre les lieux, les événements et les gens. Sa tentative à réincarner cette vie avant l'horreur nous ferait presque oublier le sujet de fond, terrible pourtant. On est en perpétuelle oscillations entre le tragique et le nostalgique, une sublime confusion de sens. 

Le récit à la première personne nous offre ainsi cette proximité jubilatoire avec les ressentis de l'auteur.

Un véritable travail de sculpture des mots et des sensations sur l'oubli, la mémoire et le temps.

D'ailleurs on a même pas l'impression d'un travail tant la magie des instants racontés est naturelle ancrée en lui comme une nature profonde .

A lire sans aucun doute..

Une belle étoile pour toutes ces étoiles jaunes..

PASSAGE

"Je ressentais un malaise. Il venait de la luminosité particulière du film. Un voile semblait recouvrir toutes les images , accentuait les contrastes et parfois les effaçait d'une blancheur boréale. J' ai compris brusquement que ce film était imprégné par les regards des spectateurs de toutes sortes dont un grand nombre n'avaient pas survécu à la guerre. Ils avaient été emmenés vers l'inconnu après avoir vu ce film un samedi soir qui avait été une trêve pour eux . On oubliait , le temps d 'une séance , la guerre et les menaces du dehors . Et tous ces regards , par une sorte de processus chimique , avaient modifié la substance même de la pellicule , la lumière , la voix des comédiens. Voilà ce que j'avais ressenti en pensant à Dora Bruder , devant les images en apparences futiles de "Premier rendez-vous"









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